En 2014, le recueil de contes Gintarinė širdis de Neringa Dangvydė est interdit de diffusion en Lituanie. Le motif ? Incitation des enfants au mariage homosexuel. Une décision arbitraire mettant à mal la liberté d’expression et la place de la communauté LGBT lituanienne. Explications.
Un livre pour enfant aux personnages homosexuels
La lituanienne Neringa Dangvydė (de son vrai nom Neringos Mikalauskienės) sort en 2014 Gintarinė širdis (en français Cœur d’Ambre). Ce recueil de contes pour enfant reprend les archétypes des histoires d’Andersen ou des frères Grim. Petite particularité : l’ouvrage cherche au travers de ces contes à dénoncer plusieurs types de discriminations. Le handicap ou encore les roms et l’homophobie s’avèrent donc indirectement évoqués. Deux histoires mettent en scène des personnages homosexuels, comme une princesse amoureuse de la fille d’un cordonnier. Cet élément va mettre le feu aux poudres et enclencher une véritable polémique en Lituanie.
Peu de temps après la sortie de l’ouvrage, de nombreux parents portent plainte. L’Université lituanienne des sciences de l’éducation, éditrice du livre, s’excuse et retire tous les exemplaires de la vente. Cette censure fait débat. Gintarinė širdis se retrouve alors porté devant un comité d’éthique. Ces experts confirment l’interdiction de diffusion du livre. Selon eux, l’ouvrage est nuisible. Ils voient dans les contes de Neringa Dangvydė un encouragement « au concept de mariage et de création d’une famille autre que celui stipulé dans la Constitution […] et le Code civil de la République de Lituanie ». Une condamnation approuvée par le ministère de la culture.
L’Université lituanienne des sciences de l’éducation, elle, finit par concevoir que le livre constitue «une propagande homosexuelle nuisible, primitive et délibérée».
S’enchaîne alors une bataille judiciaire entre Neringa Dangvydė et l’université. L’affaire se retrouve portée devant plusieurs tribunaux. Elle est bien entendu relayée dans les médias généralistes et LGBT de Lituanie. En mars 2016, le tribunal régional de Vilnius décrète que l’auteure n’a pas été discriminée. Il considère que l’université n’a aucune obligation de diffusion de l’ouvrage. Selon le respect des règles de la protection des mineurs, Gintarinė širdis est toujours retiré de la vente et interdit de diffusion auprès des mineurs de moins de 14 ans.
Cacher l’homosexualité au nom de la protection de la jeunesse
La caractéristique de cette condamnation est qu’elle s’effectue au nom de la protection des mineurs. Le livre de Neringa Dangvydė n’a pas été interdit pour des contenus ou des images jugées choquants, mais pour un motif bien plus chafouin.
Qualifié de propagande, l’ouvrage servirait à immiscer dans la tête des jeunes lituaniens une incitation au mariage homosexuel. Nous y sommes ! L’accusation de pervertir la jeunesse en y insérant une morale. Mais n’est-ce pas le but de tout conte ? Toute histoire comporte une morale. Par exemple, Le petit chaperon rouge appelle à se méfier des inconnus.
Cette démarche d’inculcation de valeurs se perpétue jusqu’aux œuvres les plus récentes. Ne trouve-t-on pas dans la saga Harry Potter des idées d’amitié, de tolérance, d’intégrité ou encore de loyauté ? Une volonté de transmission dont s’est emparée tous les camps idéologiques. Ainsi, dans un aspect plus conservateur, la bande dessinée Sylvain et Sylvette, créée dans les années 60, dresse une vision traditionaliste du foyer. Pendant que le garçon va chercher de la nourriture et du bois en forêt, sa sœur s’adonne aux tâches ménagères. Des rôles biens définis, que la bande dessinée ne manque pas de conforter au fil des aventures des deux héros.
On peut critiquer cette démarche d’enseignement moral et y dénoncer du bourrage de crâne. Toutefois, il s’avère crucial de relativiser leur impact. Est-ce que tous les jeunes lecteurs de Harry Potter deviennent-ils bons et loyaux ? Est-ce que tous les petits garçons lisant Sylvain et Sylvette pensent que la place de la femme est à la maison ? La réponse est non. On peut donc douter que tous les enfants lisant Gintarinė širdis finissent un jour par se marier avec une personne du même sexe. Interdire un livre en pensant ainsi « protéger » les enfants de devenir homosexuels paraît absurde. On peut donc penser que cette censure soit le reflet d’une crispation morale bien plus importante.
Un effet de la lente évolution de la place des LGBT en Lituanie
La décision d’interdire Gintarinė širdis peut s’expliquer par l’évolution de la place des LGBT en Lituanie. En effet, le pays autorise l’homosexualité depuis 1993 et condamne les discriminations à caractère homophobe. En revanche, l’égalité totale des droits s’avère encore loin. On note par exemple l’absence de mariage ou d’union civile entre personnes du même sexe. Depuis 1992, la constitution stipule d’ailleurs que toute union ne peut s’effectuer qu’entre un homme et une femme. Des tentatives de réformes constitutionnelles sur ce sujet ont été rejetées en 2016.
Depuis quelques années, des marches de fiertés ont été autorisées à Vilnius. Mais l’homosexualité s’avère encore mal perçue sur le plan moral. Une étude de 2009 montre que 81,5 % des lituaniens considèrent l’homosexualité comme une perversion, une maladie ou une paraphilie.
La récence de ces lois et ces éléments illustrent bien la situation bancale, mais évolutive, de la communauté LGBT en Lituanie. On retrouve ce même contexte dans les autres anciens pays européens du bloc soviétique. Cependant, rien ne s’avère figé. L’Estonie a par exemple légalisé en 2016 les unions de couples de même sexe. Elle autorise également l’adoption par les couples homosexuels sous certaines conditions. Ces anciens pays du bloc de l’est adoptent progressivement le même schéma d’émancipation de la communauté LGBT qu’en Europe du nord ou occidentale.
L’affaire Gintarinė širdis n’est donc qu’un effet de la lente évolution des droits des LGBT en Lituanie. Si l’atteinte à la liberté d’expression doit bien sûr être dénoncée, il est toutefois nécessaire de remettre cette censure dans son contexte. Un contexte où l’enjeu s’avère bien plus moral et sociétal que politique.
Caractéristiques
- Titre : Gintarinė širdis
- Auteur : Neringa Dangvydė
- Éditeur : Lietuvos edukologijos universitetas
- Type : Contes pour enfants
- Date : 2014
- Pays : Lituanie
- Statut : Retiré de la vente et de nombreuses bibliothèques en Lituanie
Où se le procurer ?
Retiré de la vente et des bibliothèques en Lituanie. Une version PDF peut être téléchargée.
Sources :
- http://www.lgbt-ep.eu/press-releases/fairy-tale-banned-under-lithuanian-anti-propaganda-law/
- http://www.delfi.lt/news/daily/law/pasakos-vaikams-apie-homoseksualias-poras-rasytoja-pralaimejo-byla-nebuvo-diskriminacijos.d?id=67722626
- http://manoteises.lt/straipsnis/teismas-knygos-gintarine-sirdis-autore-n-mikalauskiene-nebuvo-diskriminuojama/
- http://360.ch/blog/magazine/2014/05/des-contes-de-fees-trop-gay-mettent-la-lituanie-en-emoi/
- https://en.wikipedia.org/wiki/LGBT_rights_in_Lithuania
- http://manoteises.lt/enciklopedija/pasaku-rinkinys-gintarine-sirdis/
- http://www.liberties.eu/fr/news/censure-lituanie-homosexualite
- http://manoteises.lt/straipsnis/sprendimas-neplatinti-pasaku-primena-sovietine-cenzura/
- https://en.wikipedia.org/wiki/LGBT_rights_in_Europe
- http://www.delfi.lt/news/daily/lithuania/apklausa-daugiau-nei-puse-gyventoju-nepritaria-geju-eitynems-vilniuje.d?id=22822011