Pendant plusieurs siècles, l’Index a regroupé tous les livres jugés dangereux par l’Église catholique. Rousseau, Sartre, Locke ou encore Spinoza figurent dans ce catalogue de plus de 5000 ouvrages. Portrait d’une liste noire au service du pouvoir pontifical.

Les livres interdits du Vatican

eglise indexS’il est aujourd’hui un peu tombé dans l’oubli, l’Index des livres interdits (Index librorum prohibitorum) a eu une influence considérable sur le monde l’édition pendant plusieurs siècles.

Sa création remonte au concile de Trente en 1559 à la demande du pape Paul IV.

Hormis une petite introduction dans sa première version, l’Index se constitue simplement d’une liste d’ouvrages condamnés. Les livres y sont classés par auteurs sans le moindre commentaire.

L’intégration d’une œuvre se décide par la Congrégation de l’Index, avec validation du pape. En 1917, cet organe de l’Église intègre le Saint Office (ancienne Inquisition et aujourd’hui nommée Congrégation pour la doctrine de la foi). À partir du XVIIIème siècle, la mise à l’Index d’un livre résulte d’un long processus décisionnaire. Généralement amorcée suite à une dénonciation, elle nécessite plusieurs examens et délibérations d’experts. Les délais s’avèrent parfois longs et plusieurs années peuvent s’écouler entre la dénonciation d’un livre et son intégration au catalogue.

Une vingtaine d’éditions viendra mettre à jour le fameux recueil. Sa dernière version sort en 1948. Elle compte plus de 5000 ouvrages et répertorie près de 3000 auteurs.

L’élan progressiste initié par le concile Vatican II dans les années 60 sonne le glas de l’Index. Le pape Paul VI l’abolit en 1966.

Quels livres contient l’Index ?

Bien qu’au départ créé pour contrer la réforme protestante, le catalogue contient des ouvrages aux thèmes très variés. On y trouve entre autres les contenus jugés contraires aux mœurs ou hérétiques. De nombreux écrits philosophiques ou politiques sont également présents. Ainsi, Rousseau, Nietzsche, Hobbes ou encore Diderot figurent à l’Index. Sa consultation amène à découvrir quelques paradoxes. On remarque d’une part la présence d’auteurs connus pour leur conservatisme moral et leur attachement au catholicisme. Ainsi, une dizaine d’écrits de Charles Maurras apparaissent dans le recueil ainsi que son journal L’Action Française. À l’inverse, l’absence de certains livres surprend. Par exemple Mein Kampf n’apparaît pas à l’index. Il en va de même pour les travaux de Charles Darwin alors que de nombreux scientifiques ont été condamnés, et ce jusqu’aux dernières années du catalogue. Cependant, l’Église a parfois procédé à une révision de ses positions. Galilée et Copernic furent ainsi retirés de l’index en 1718 et en 1835.

vatican livres interdits

Une censure destinée à conforter le pouvoir du Saint-Siège

Plus qu’un outil de préservation morale des fidèles, l’Index est plutôt un instrument de pouvoir. Son but réel consiste à maintenir l’emprise politique de l’Église catholique sur la société. La raison de sa genèse (empêcher la diffusion des écrits protestants) reflète parfaitement la fonction purement politique du catalogue. Diderot, Sartre, Voltaire, Nietzsche, Helvétius, etc. Tous ces auteurs n’ont pas été condamnés pour des ouvrages vulgaires, pornographiques ou sataniques. Bien qu’ayant tous des positions idéologiques différentes, ils possèdent un point commun : pousser l’individu à réfléchir par lui même et prendre conscience de son individualité. Chacun à leur façon, ils amènent à avoir un regard critique sur le discours de l’Église et sa doctrine. Sous prétexte d’interdire les livres pernicieux (sic), l’Index sert en réalité à étouffer toute forme de contestation vis à vis de l’Église romaine.

Cependant, l’interdit attire la curiosité ! Un effet Streisand déjà présent au XVIIème siècle. Les libraires de l’époque n’hésitaient pas déjà à se procurer la fameuse liste des livres interdits pour connaître les ouvrages à vendre sous le manteau en priorité. Bien sûr, l’Index obtint malgré tout l’influence souhaitée. Dans plusieurs régions du monde (surtout hors des grandes villes), il a profondément retardé l’arrivée et l’implantation des idées humanistes et/ou des Lumières. Une efficacité en grande partie liée aux moyens de communication limités des époques passées. À l’heure de la télévision, de la radio et d’internet, l’impact d’un outil comme l’Index s’avère bien moindre. Perpétuer son édition n’aurait fait qu’amplifier l’effet Streisand. C’est cette raison qui provoqua principalement son abolition.

Que reste-il de l’Index ?

S’il a physiquement disparu, le catalogue conserve toutefois sa valeur morale. La Notification sur la suppression de l’Index des livres interdits scellant son sort en 1966 le stipule précisément.

« La Congrégation pour la doctrine de la foi, après s’en être entretenue avec le Saint-Père, fait savoir que son Index garde sa valeur morale en ce sens qu’il demande à la conscience des fidèles – comme l’exige le droit naturel lui-même – de se garder contre les écrits qui peuvent mettre en danger la foi et les bonnes mœurs.»

Cependant, l’examen des livres constitue donc toujours une des tâches de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ce rôle y est précisé explicitement dans le Motu proprio Integrae servandae de Paul VI de 1965.

« [La Congrégation pour la doctrine de la foi] examine avec soin les livres qu’on lui signale et, s’il le faut, elle les condamne, mais, après avoir entendu l’auteur, en lui donnant la possibilité de se défendre, même par écrit »

L’abandon de l’index ne résulte donc pas d’un sursaut progressiste de la part de l’Église, mais simplement d’un souci logistique. Le Vatican se donne toujours pour mission de débusquer, condamner et interdire les livres ne convenant pas à sa ligne politique.

« Le Saint-Siège fera usage de son droit et de son devoir pour réprouver de tels écrits, même publiquement, afin d’assurer le bien des âmes avec la fermeté qui convient. »

Notification sur la suppression de l’Index des livres interdits

La Congrégation pour la doctrine de la foi conserve donc bien son historique rôle de censeur. Certes, la sécularisation des sociétés et la perte d’influence du clergé dans plusieurs pays annihilent toute mise en pratique de ces condamnations. Mais la censure morale opérée par l’Église demeure encore très présente. Le vif débat de 2005 autour du Da Vinci Code illustre bien cette tendance. Plusieurs religieux comme le cardinal Tarcisio Berton avaient appelé à ne pas lire l’ouvrage de Dan Brown. Comme pour les œuvres de Rousseau ou Montesquieu au XVIIIème siècle, l’Église incite ses fidèles à suivre sa position et officielle et sans se constituer une opinion par eux-même.

Sources :