Rédigé par l’anonyme Comité Invisible, L’insurrection qui vient est souvent présenté comme un des manifestes de l’ultra-gauche française. Les passages sur l’usage de la violence et son rôle dans l’affaire Tarnac donnent à ce livre sa réputation sulfureuse. Analyse de ce brûlot trop hâtivement jugé en dangerosité nihiliste.

Des « scribes de la situation » à « ceux qui s’organisent »

insurrection qui vient tarnacTrès court, l’ouvrage se présente comme miroir des réalités sociales. Ses auteurs prétendent simplement « fixer des vérités nécessaires » (p. 12). Sept « cercles » se succèdent alors. Chacun de ces chapitres dénonce une des tares de la société actuelle : le culte du moi, la répression de la jeunesse, le travail, la métropole (comprendre l’hyper urbanisation), le système capitaliste mondialisé et la société de consommation, le capitalisme vert et enfin le bellicisme de la civilisation occidentale.
Le livre enchaîne ensuite avec quatre chapitres consacrés à l’action insurrectionnelle. À partir du constat dressé dans les « cercles », le Comité Invisible appelle à s’organiser et se révolter. L’alternative proposée ? Une structure sous forme de communes autonomes et autogérées. Pour accéder à ce projet de société communiste (et libertaire ?), le collectif dresse quelques grandes lignes du processus insurrectionnel à réaliser.
Cette démarche révolutionnaire doit d’abord passer par une multitude d’attaques du capitalisme et de l’État. Grands et petits méfaits sont les bienvenus !
D’autre part, le Comité Invisible incite à s’affranchir de l’État. Création de « zones d’opacités », réseaux de communication alternatifs ou encore économie informelle constituent quelques exemples de ce que prônent les auteurs.

Pourquoi lire L’insurrection qui vient ?

Qu’on se le dise d’entrée de jeu : l’objectif du livre n’est pas de convaincre. En adoptant un ton très assuré (voire condescendant), le Comité Invisible énumère l’ensemble des maux de la société. Ils donnent ensuite leurs préceptes pour régler le problème. Pas de place au débat ou à l’argumentation ! Le lecteur exigeant notera d’ailleurs l’absence totale de sources au fil du texte. Pour les auteurs, tout cela n’est pas indispensable compte-tenu des événements.

« C’est le privilège des circonstances radicales que la justesse y mène en bonne logique à la révolution. Il suffit de dire ce que l’on a sous les yeux, et de ne pas éluder la conclusion. » (p12)

Il ne s’agit donc pas ici de démontrer quelque chose mais d’appeler au mouvement. L’insurrection qui vient tient donc plus du pamphlet marchant au pathos et aux lieux communs que du réel essai politique.

Un manifeste communiste

Si les livres au discours révolutionnaire anarchiste ou d’extrême-gauche sont légion, celui du Comité Invisible détone de part sa radicalité bien spécifique. L’ouvrage ne rejette pas seulement les piliers du système capitaliste. Les autres mouvances contestataires en prennent aussi pour leur grade. Rien ne semble trouver grâce aux yeux des braves gens du Comité Invisible ! Pas mêmes les associations et les syndicats, considérés comme des fers de lance du système capitaliste. Malgré ce rejet global quasi nihiliste et la promotion d’une organisation fédéraliste, L’insurrection qui vient ne se revendique pas de la mouvance « anarcho-autonome ». Une idée reçue beaucoup distillée par les médias depuis le début de l’affaire Tarnac (cf complément). Pourtant, il s’agit bien d’un projet communiste. Une « mise au point », rajoutée à la fin du livre en 2009, confirme d’ailleurs cette prise de position.

« Enfants de la métropole, nous faisons ce pari : que c’est à partir du plus profond dépouillement de l’existence que se déploie la possibilité, toujours tue, toujours conjurée, du communisme. » (p 136)

L’incontournable question de la violence

L’autre élément marquant la lecture de cet ouvrage, est bien évidement la question de la violence. C’est d’ailleurs la place accordée à cette dernière, associée aux dits actes terroristes de l’affaire Tarnac, qui a donné au livre sa réputation d’ouvrage subversif.

manifestation tarnac
Oui. Il y a bien un discours insurrectionnel. Proche des recommandations de l’anarchiste Blanqui au XIXème siècle, l’ouvrage appelle à la destruction du système par divers procédés. Tous les moyens sont bons, les gros comme les petits sabotages. S’affranchir de l’État dans tous les domaines tient aussi une importance capitale. Une démarche logique qu’on retrouve pourtant peu dans les écrits des autres mouvements d’extrême-gauche. Cependant, cet aspect rappelle étrangement le mouvement agoriste. Ces ultra-libertariens se donnent pour leitmotiv de tout faire pour vivre hors du système étatique (marché noir, solution privée, etc.).

« Il n’y a pas d’insurrection pacifique. Les armes sont nécessaires : il s’agit de tout faire pour en rendre l’usage superflu. » (p 118)

Si le Comité Invisible ne se pose pas comme partisan absolu de la lutte armée, il ne nie pas son rôle. Il faut y voir ici une prise de conscience quant à l’usage de la violence, nécessaire pour mener le processus révolutionnaire à bien. Plus que celui sur les armes, un tout autre passage suscitera la polémique en France.

« L’infrastructure de la métropole est vulnérable: ses flux ne sont pas seulement transports de personnes et de marchandises,[…] Saboter avec quelque conséquence la machine sociale implique aujourd’hui de reconquérir et réinventer les moyens d’interrompre ses réseaux. Comment rendre inutilisable une ligne de TGV, un réseau électrique ? » (p 101)

La simple présence de cette phrase dans un livre retrouvé chez des personnes soupçonnées d’avoir tenté de saboter une voie de chemin de fer suffit à le mettre à l’index. En Allemagne, la sortie d’une version traduite en 2010 provoque le débat et ravive la crainte d’actions violentes comme au temps de la RAF.
Il en va de même aux États-Unis. Le polémiste conservateur Glenn Beck ne manque d’en faire une chronique sur Fox News. Truffée d’inexactitudes et de raccourcis exagérés, elle frise le délire paranoïaque.

Même si ces passages paraissent dangereux ou excessifs, il faut raison gardée. Chien qui aboie ne mort pas.
L’insurrection qui vient ne constitue aucunement un manuel pour terroriste. Ici, pas de recettes de bombes ou de conseils tactiques pour prendre le maquis. Les appels à l’agitation ne restent en fin de comptes que des grandes lignes idéologiques. Aucune application pratique. On est à des années lumières de livres tels que The anarchist cookbook, fournissant des informations concrètes pour mener la lutte. Si aucun lien avec l’affaire Tarnac n’avait été décrété par les enquêteurs, l’ouvrage serait resté dans la confidentialité des milieux militants. Selon son éditeur Éric Hazan, le livre n’a au départ été tiré qu’à 8000 exemplaires. Ce maigre tirage passe à plus de 40 000 exemplaires en 2010 suite aux événements.

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L’aura de ce livre provient plus du fantasme d’un retour de la lutte armée d’extrême-gauche que d’un réel apport politico-philosophique. Certes, les prises de positions ultra radicales en font un ovni idéologique. Pour cette raison, il vaut le coup d’être découvert et analysé. Mais qu’on ne s’attende pas à un livre révélateur ! L’aspect trop évasif de la seconde partie crée un décalage avec la rage et l’indignation présentes dans les « cercles ». Au lieu d’avoir un projet à la hauteur du constat posé, on retombe sur l’éternelle tambouille vieillissante du vain appel à la révolution. Dommage, on y croyait presque…

Caractéristiques

  • Titre : L’insurrection qui vient
  • Auteur : Comité Invisible
  • Éditeur : La fabrique éditions
  • Type : pamphlet rageux
  • Date : 2007
  • Pays : France
  • Pages : 140
  • Statut : autorisé en France

Où se le procurer ?
Disponible en France dans la plupart des librairies.
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Complément sur l’affaire Tarnac

Il s’avère impossible de parler de L’insurrection qui vient sans évoquer son lien avec l’affaire Tarnac. Cependant, le sujet de cette chronique porte sur le contenu du livre lui-même et non les événements judiciaires associés. Voici donc un rapide résumé des événements.
coupat tarnacTout commence en 2003 lorsque Julien Coupat et plusieurs amis s’installent à Tarnac (Corrèze) et reprennent l’épicerie du village. Dès cette époque, ils sont connus des services de renseignement pour leur engagement politique et bénéficient d’une surveillance. Considérés comme « anarcho-autonomes » par la police, ils se définissent plus comme communistes. Dans les nuits du 25 au 26 octobre et du 7 au 8 novembre 2008, plusieurs actes de sabotage de lignes TGV sont commis dans l’Oise, la Seine-et-Marne et l’Yonne. On retrouve un crochet posé sur une caténaire de la ligne Est en Seine-et-Marne. Les services de renseignement déclarent que Coupat et sa compagne étaient présent dans les environs la nuit des fait. Soupçonné d’être le leader du groupe de saboteurs, il est mis en examen le 15 novembre 2008 avec 8 autres personnes. Tous nient avoir participé à ces actes. Faute de preuves, Coupat est libéré de sa détention provisoire le 28 septembre. Il reste malgré tout sous contrôle judiciaire pendant encore 7 mois.

Plusieurs révélations décrédibilisent les charges retenues contre les inculpés. Filature truffée d’incohérence, manque de preuves, falsification de preuves par les services de police, surveillance illégale de Julien Coupat ou encore mise sur écoute de l’épicerie montrent le caractère calomnieux et arbitraire de cette affaire. Une longue bataille judiciaire s’entame dès 2010 par les accusés pour dénoncer ces méthodes abusives et affirmer l’innocence des neufs compagnons.

Sources :

Photos :
aka Francois aka Mister Pink sous licence CC BY-NC-ND
Thierry Ehrmann sous licence CC BY